Atelier d'écriture commenté #1 - L'écorce du quotidien
On me pose souvent la question : "mais alors, qu'est-ce qu'on fait exactement dans un atelier d'écriture ?"
En parallèle à la rubrique Ecrits
d'ateliers, qui rassemble des textes d'ateliers sur le mode de la revue, je souhaite proposer régulièrement un atelier d'écriture commenté, un cours d'écriture et de littérature à domicile,
pour faire découvrir en détail une séance d'atelier telle que je la propose dans mes ateliers d'écriture à Lyon.
Vous pouvez la tester chez vous, à votre rythme, seul.e ou avec des amis, parents, conjoint...
Pour ce cours d'écriture et de littérature, j'indique un minutage qui correspond à une séance d'atelier de 2h
aboutissant à la production d'un premier jet, d'une première émergence brute de texte, à retravailler ensuite. Mais vous pouvez bien sûr passer plus de temps sur chaque
étape.
Cette séance est accompagnée de textes écrits par des participants à partir de cette proposition d'écriture et d'un éclairage sur les enjeux pédagogiques de cet atelier.
I / La séance
L'idée de cet atelier est de revisiter un lieu quotidien que l'on a traversé récemment, où l'on a séjourné pour un temps plus ou moins long, mais peut-être aussi un lieu insolite, un espace qui a joué un rôle à un moment de notre journée, lieu précieux que nous allons approcher avec minutie, dans une connexion immédiate et approfondie avec nos cinq sens.
1-Lecture en partage (5 mn)
Avec, pour démarrer la séance, quelques lectures en partage, que j'ai enregistrées en podcast :
Un extrait des Notes de chevet de Sei Shonagon, dame d'honneur à la cour impériale dans le Japon du IXe siècle. C'est une collection de listes, de poésies, de complaintes et d'observations glanées tout au long de son séjour à la cour durant l'Époque de Heian. Ces notes ne font pas références spécifiquement à des lieux mais elles s'inscrivent dans la démarche que nous allons avoir, c'est-à-dire nous intéresser avec minutie à ce qui nous entoure.
Un extrait de Bord de mer de Véronique Olmi. Véronique Olmi est dramaturge et Bord de mer est son premier roman. Un roman intense qui raconte l'histoire d'une mère célibataire qui emmène ses deux enfants voir la mer pour la première fois. L'extrait que je vous lis dans le podcast est la description d'un lieu, celui du car qui les transporte vers leur destination.
2-Liste (10 mn)
Réfléchir, passer en revue notre journée – ou celle d'hier, si nous écrivons le matin...- et faire une liste de 10 lieux que l'on a traversés, où l'on s'est arrêté longtemps ou pas.
Le but est de regarder notre journée écoulée, et de la reparcourir.
Un lieu peut être très identifié, comme un parc, un musée, le bureau où l'on travaille, la cour de l'école...Cela peut-être aussi des espaces plus insolites où s'est joué quelque chose pour nous : l'intérieur d'une boîte aux lettres, d'un ustensile médical (être dans un scanner...), le fond d'un tiroir où se trouve une lettre oubliée...
L'idée est de bien "ramener" ce lieu vers nous : ne pas noter simplement "parc" ou "salon" mais " parc où je vais faire ma pause de midi", "salon où je fais parfois la sieste"...
Pour nous aider :
Imaginer la journée comme une frise chronologique de 7h à 20h, pour convoquer nos souvenirs et revisiter la totalité de la journée, pas seulement les premières heures...
Lister 10 lieux
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3-Les 5 sens (15 mn)
Dans cette liste on va choisir un lieu et le décrire avec nos 5 sens
Pour chacun des 5 sens, on trouve 3 mots ou expressions :
vue ouïe odorat toucher goût
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4-La première phrase ou incipit du texte (10 mn)
Parmi les 15 mots ou expressions que l'on a recueillis, on va en choisir une qui représente le mieux le moment passé dans ce lieu, la sensation qui nous a le plus marqués.
Avec cette expression, on va construire la première phrase de notre texte .
Par exemple, si c'est la vue : Ce que j'ai vu en premier en entrant dans le..., c'est le rouge à lèvre de la caissière....
si c'est l'ouïe : Ce qui m'a frappé en premier quand je suis entrée, c'est...le silence complet qui régnait...
si c'est l'odorat : Ce que j'ai senti tout de suite en entrant dans ..., c'est l'odeur de cigarette froide...
si c'est le toucher : Ce qui m'a plu en entrant dans..., c'est le moelleux du canapé...
etc...
5-Ecriture du texte (45 mn)
Après ces étapes, nous avons suffisamment de matière pour faire émerger un premier texte.
Nous allons écrire un texte où nous allons décrire ce lieu, sur les bases suivantes :
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on a déjà la 1ere phrase
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on utilise les 14 mots ou expressions listées
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en s'attachant à créer un climat : faire des liens entre les mots et expressions qui vont dans le même sens et peuvent orienter le texte vers une certaine tonalité
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En reliant cette description à l'émotion dans laquelle nous étions dans ce lieu, en la faisant ressentir au lecteur
6-Lecture des textes (35 mn)
clôture – retours de chacun
La dernière phase de mes ateliers est une lecture partagée, avec des retours de ma part et des autres participants.
Vous trouverez ci-dessous des exemples de textes produits à l'occasion d'ateliers d'écriture à Lyon où j'ai fait cette proposition d'écriture.
II / Textes produits en atelier
à partir de la proposition d'écriture "L'écorce du quotidien"
Quand je suis entrée dans ce bureau qui allait être "mon bureau", j'ai été envahie par l'espace : immenses fenêtres, plafond haut, vue imprenable sur des arbres centenaires, tout indiquait que ce lieu avait accueilli plusieurs générations, peut-être même avait-il accueilli des rois et des reines. On sentait l'ancien, le bois, le beau, le parquet usé et les années passées.
Mais sur la table lisse, une souris reliée à un ordinateur, une pochette plastique transparente qui protégeait un tableau Excel.
On était bien le 19 septembre 2017, je ne m'étais pas trompée, j'entendais tourner le moteur du minibus de ramassage des enfants, et les enfants qui en descendaient un à un, clopin-clopant.
Un texte écrit par Isabelle
(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
Ce qui m'a fait choisir ce banc, c'est qu'il était mi-ombre, mi-soleil et qu'il se trouvait en bordure du lac. Il faisait chaud et le ciel était bleu sans un nuage. Assise sur ce banc en bois clair, seule, je me plongeais dans le calme. Deux cygnes glissaient paisiblement sur l'eau, ignorant tout de leur entourage. Au loin, le ronronnement d'une tondeuse venait perturber ce silence. J'imaginais alors l'odeur de l'herbe fraîchement coupée. Sur ma gauche, un bruit de pas, une femme passait et s'éloignait en laissant derrière elle une fine odeur de parfum. Une légère brise glissait sur ma peau telle une douce caresse. Je fermais les yeux. Je pensais au moment présent tout en écoutant le souffle de ma respiration. Je méditais.
Un texte écrit par Marie-Claire M
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne - La Miete)
Elle est là, je l'ai vue tout de suite qui joue à travers la porte-fenêtre de la crèche, là-bas de l'autre côté de la haute barrière en bois qui ferme la cour. J'entends l'interphone qui sonne à l’intérieur.
Debout entre ombre et lumière à la sortie du passage couvert, j'attends, les pieds à la torture. J'ai le nez titillé par les relents d'urine des toilettes du café, là à ma gauche, mêlé à un goût de pain chaud porté depuis la boulangerie. Ma main caresse le bois rugueux du portail, dans l'attente du déclic et de la poussée libératrice. Ségolène emporte Noémie loin de mon regard.
Bientôt la porte s'ouvrira.
Un texte écrit par Sabine
(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
Ce que j'ai ressenti d'emblée ont été les vibrations sourdes du vélo contre le bitume au rythme du riff de la guitare dans mes oreilles. La voix qui se fait presque déchirement entre les bandes blanches du macadam. Les senteurs des fleurs en longeant les bâtiments masqueraient presque l'odeur suffocante des pots d'échappement. Le caoutchouc des poignées du guidon s'effrite dans mes mains tandis que la dureté de la selle râpe mes fesses.
Au loin, les phares des voitures tels des yeux au regard blême tentent d'échapper à la danse serpentine et ondulante du tram. La satisfaction éprouvée par le goût de la vitesse dans la descente contraste avec l'intrusion désagréable d'un insecte dans ma bouche entrouverte au moment où je savoure de manière inconsidérée le risque qu'il y a à slalomer entre les voitures.
Mon arrivée à bon port n'efface en rien l'odeur du jean mouillé par la pluie. Il fait froid dans la cour encore plongée dans l'obscurité. Bientôt le silence va s'entremêler au bruit. Je m'apprête à rentrer. Le dehors, plus une transition, peut-être tout juste un prolongement alors qu'à l'intérieur le vacarme se précise.
Un texte écrit par Grégory
(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
"Choisissez votre moyen de paiement !". La voix standardisée d'une machine me soulage. Paradoxe !
Je fuis les alignements de boîtes, de bouteilles, de pots interchangeables, lisses et froids, l'uniformité de l'endroit qui réveille dans ma bouche l'amertume du dernier café, l'odeur sulfurique du choux mêlée au parfum des melons qui agace les papilles. Du rayon froid, les courants d'air porteurs de relents de fromage, l'agitation des inconnus qui se bousculent, le grincement des roues des chariots, la désolation des plantes non-vendues qui se fanent sur la banque de l'accueil... Cinq minutes dans la surabondance de ce lieu confiné pour un pot de café et je suis saisie d'angoisse ! Au dehors, la lumière éclatante du soleil m'appelle. Malgré tant de suffocation, je reviendrai pourtant encore et encore, à chaque pot vidé...
"Bonjour, dit dans mon dos la machine. Avez-vous votre propre sac ?" La porte automatique s'ouvre.
Le soleil rayonne et se moque :" A toi le manque. A moi la joie !".
Confuse mais apaisée, je cligne des yeux et m'engage sur le trottoir.
Un texte écrit par Jacqueline
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne - La Miete)
Ce qui m'a saisi en premier, c'est le vertige quand j'ai descendu les cinq marches : trop hautes, ces marches. Je dévale les escaliers froids et polis par beaucoup de pieds, l'esprit tout occupé par la prochaine réunion à laquelle, déjà, je suis en retard. C'est un lieu public qui sent la pluie, la poussière et la fatigue. Les échos de la ville filtrent à peine sous la lourde porte d'entrée. Main sur la poignée, je me retourne.
Un homme voûté, appuyé sur une canne noire et luisante comme ses chaussures vernies, se tient en haut de l'escalier.
Les marches grises grandissent, elles se dilatent, mon cœur plonge dans ma poitrine. Le vieux vacille, bascule, disparait dévoré par ces marches à pic. Un instant de silence puis une petite chauve souris émerge à tire d'ailes de la faille sombre de l'escalier et fond sur moi dans un sifflement aigu. J'entrebaille la porte, saute à pieds joints dans la lumière du jour et la laisse se refermer derrière moi.
Un texte écrit par Marie
(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
Ce qui m’impressionne le plus le matin quand j’arrive au bureau, c’est la chape de plomb qui semble peser sur ce lieu de travail.
Sur les cinq bureaux jadis occupés, nous ne restons plus que deux employées suite à un plan social dit de sauvegarde pour l’emploi, et une délocalisation des activités comptables à Budapest.
Le mobilier, les armoires, les chaises, les boites à archives, rien n’a bougé depuis presque un an que mes collègues ont été licenciées.
Sur leurs bureaux inoccupés, une plante qui n’en finit pas de fleurir et un petit sapin de Noël, dernière décoration de cette fin d’année 2018.
Les fenêtres ont été remplacées et ne laissent plus filtrer les courants d’air. On oublie d’aérer car le chauffage tourne à l’économie. Nous sortons assez peu du bureau car nous apportons notre thermos de thé et disposons aussi d’une petite table pour manger notre repas maison.
Les échanges avec les autres services sont restreints car toute la communication passe par internet.
Je ressens encore aujourd’hui le goût amer de la restructuration de ce service et j’ai du mal à trouver mes marques dans ce bureau où mes échanges professionnels mais aussi amicaux se sont appauvris considérablement.
Un texte écrit par Marie-Claire B
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne - La Miete)
Ce qui m'a frappé en premier en enlevant l'inhalateur de Ventoline du sachet, c'est le bruit mou du plastique qui sert d'embout à l'enfant pour inspirer plusieurs bouffées du gaz âcre et irritant qui doit le soulager.
Fichée à l'arrière, la capsule de Ventoline semble avalée, emprisonnée par le plastique mobile comme une méduse.
Le tube transparent, décoré de fleurs violettes, se teinte alors d'une buée épaisse qui fait à l'enfant concentré sur sa respiration comme un masque étrange et un peu inquiétant.
Un autre tube viendra ensuite réconforter l'enfant, avec cette fois entre les parois, le goût sucré du Doliprane.
Un texte écrit par Sylvie
(Atelier d'écriture à Villeurbanne - La Miete)
III / Éclairage pédagogique
L'atelier d'écriture "l'écorce du quotidien" est le premier volet d'un cycle autour des lieux. Ce cycle est le point de départ de la progression que je propose en 1ere année d'atelier d'écriture à Lyon. C'est également un atelier que j'utilise fréquemment en séance découverte car il s'appuie sur des piliers qui vont permettre au participant de s'approprier progressivement des outils qui le rendront plus autonome, plus créatif dans son écriture :
Apprendre à regarder
Ce que l'on réapprend surtout dans un atelier d'écriture, c'est à regarder, à être attentif à ce qui nous entoure. Notre quotidien est notre première source d'inspiration. Un homme à sa fenêtre, la couleur d'un feuillage, une bribe de conversation entendue, l'odeur d'un hall sont les amorces possibles d'une histoire, d'une aventure...De plus, la proposition d'écriture étant articulée au quotidien de l'écrivant, elle est réutilisable sans fin, chaque journée offrant de nouveaux lieux, de nouvelles pistes d'écriture. J'anime et j'écris avec les participants et de ce fait, je "refais" souvent cette proposition : pourtant, à chaque fois, une autre histoire émerge, une autre tonalité s'installe.
Le partage systématique d'un écrit antérieur
Il ouvre la porte de l'écriture, replace la proposition d'écriture dans une continuité dans laquelle le participant s'inscrit. Il donne aussi une première approche de ce qui pourrait être fait, une première pierre.
L'usage d'outils simples qui permettent de convoquer l'attention au réel
A ce titre, l'usage de la liste, de l'inventaire permet d'étirer le champ des possibles, de ne pas s'arrêter à "la première idée venue", qui est souvent la plus convenue, celle qui ne permet pas d'aller bien loin ensuite. Il existe bien sûr d'autres dispositifs qu'on abordera dans les futurs ateliers commentés.
Le travail sur les sensations
Cette étape qui peut paraître fastidieuse et difficile au début nous contraint à "être attentifs", à creuser les connexions qui s'installent entre notre corps et les espaces dans lesquels nous évoluons, à travailler sur la densité du texte, ce qu'il nous fait ressentir sans "expliquer". Au fur et à mesure du travail en atelier, la convocation régulière des sensations par les participants devient plus immédiate, plus facile et leur permet de donner de la densité à leurs textes.
La construction en entonnoir
La collecte de la matière future du texte se fait, pas à pas, dans un approfondissement progressif, qui permet de stimuler l'imaginaire. D'abord 10 lieux, puis on n'en garde qu'un seul. 15 sensations, puis on se focalise sur l'une d'entre elle qui permettra de construire la première phrase...
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Martine Silberstein (lundi, 27 avril 2020 08:33)
Géniale la photo ! Les consignes de cet atelier permettent de se remémorer la vie d'avant le confinement ! Merci !
Martine
Sylvie Gier (lundi, 27 avril 2020 16:11)
Merci Martine. Il est évident que la question du lieu où l'on est, où l'on passe donne à réfléchir en cette période...
La photo est extraite d'un très chouette site de photographies libres de droit : https://unsplash.com
C'est en soi un vrai support pour rêver et imaginer...
Martine Silberstein (lundi, 27 avril 2020 08:33)
Géniale la photo ! Les consignes de cet atelier permettent de se remémorer la vie d'avant le confinement ! Merci !
Martine