Brut de fonderie #4
Pour ce 4e numéro de la revue, retour sur le thème des lieux qui nourrit le démarrage de la première année des ateliers d'écriture collectifs que je
propose à Lyon et Villeurbanne. Les exercices d'écriture convoquent les lieux du quotidien, les lieux imaginaires, ou encore les lieux imposés par l'aléatoire et que les participants vont
s'attacher à intégrer dans une histoire. Ensuite entrent en piste les sensations, le jeu autour des mots, l'interaction avec les autres. Inutile de vous dire que ça rêve, ça chauffe, ça turbine,
ça déborde, ça rature, ça gribouille, ça recommence...bref, ça écrit !
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Douce parenthèse
C’est le moment de prendre place sur le tapis, d’ancrer chaque partie de mon corps à l’instant, solidement pour ne pas vaciller.
Ici il n’est plus question de courir dans tous les sens, de jongler avec toutes les missions d’une journée, non ici le temps ralentit, laissant l’opportunité à chacun de trouver sa place, à son
rythme. Ce sont les talons qui s’installent en premier, s’appuyant de tout leur poids sur cette surface moelleuse, pour une fois qu’on leur permet de toucher terre. Et puis, plus timidement les
orteils se fraient un chemin, se déposant un à un en toute discrétion.
Les soucis du quotidien disparaissent à mesure que s'’installe une respiration profonde. Les côtes se soulèvent, laissant libre cours à l’air de parcourir tout le corps et chaque expiration est
une pensée parasite qui s’éloigne.
Le silence règne dans la salle, on entend juste les souffles qui s’allongent au fur et à mesure. Cette mélodie apaisante rappelle les mouvements des vagues en bord de mer, ce va-et-vient régulier
créé par la nature.
Et puis soudain, comme si le rideau de la scène se soulevait enfin, les corps s’animent à l’unisson sous les paroles de l'enseignante. L’espace prend vie, les bras se soulèvent et puis c’est au
tour des jambes, chaque geste est lent, comme intemporel.
Les tergiversations de l’esprit n’ont plus leur place, tout se passe ici et maintenant, simplement.
Cinq minutes seulement semblent s'être écoulées depuis le début mais les grondements des ventres nous ramènent à la réalité, le temps a continué de filer et il sera bientôt l’heure d’aller
manger.
L'heure de reprendre le cours de sa vie, plus légère, comme si on flottait à travers le coton d'une parenthèse de douceur.
Un texte écrit par Charlotte, à l'occasion de l'atelier L'écorce du quotidien
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)
Le retour
Il est 3h30 du matin. C’est trop tôt. Le café me regarde, attendant que je le boive et que mon énergie m’amène à soulever la tasse. Je ne me suis pas encore décidé. Mon regard est dans le vague, essayant d’exister dans le flou, qui m’entoure. La tasse émet dans l’air une petite fumée blanche, dont les effluves viennent me titiller et me rappellent, que le réveil est en cours. Les fragrances du café ont une petite pointe de caramel, qui vient me velouter l’intérieur du nez. Il est chaud. Je le tiens dans une main, tandis que l’autre s’empare d’un croissant, dont la partie craquante s’effrite sur la table. Je cherche à retrouver ce goût de caramel dans le liquide à la fois râpeux et sucré, qui coule sur mon palais.
Puis le brouillard se dissipe petit à petit, laissant les gens et les lieux s’organiser dans leurs détails et dans mon esprit, qui s’aiguise dans la conscience des choses et m’amène à penser aux raisons de ma présence ici. C’est la fin du bon temps et avec lui tout ce que j’ai vécu ces quinze derniers jours. Un sentiment de lassitude m’envahit et me fait retomber dans ma torpeur, déjà à la recherche d’un souvenir heureux. Les gens autour de moi sont dans le même état, cherchant on ne sait quoi par leurs regards embrumés. La malédiction du temps qui passe met toujours fin trop tôt aux choses agréables.
Je suis réveillé. Dans ma tête s’agite le mot « retour ». C’est bien de cela, dont il s’agit : revenir, rentrer. C’est fini.
Je prends alors une dernière gorgée de café et me lève pour me retrouver dehors, la tête dans le ciel illuminé d’étoiles, comme en ont le secret les nuits tunisiennes. Je vais bientôt partir dans ces trainées lumineuses à la recherche du petit prince et de ma rose dans cette immensité lactée. La fraîcheur de la nuit fait remonter toutes les odeurs de sable et de laurier, me sortant du désert pour rentrer dans la réalité du retour.
Mes vacances sont bel et bien terminées.
Un texte écrit par Jean-Claude, à l'occasion de l'atelier L'écorce du quotidien
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)
Civilisation ancienne
Je vous écris d'un pays lointain où le temps semble s'être arrêté et qui pourtant, comme par caprice, tressaute et veut repartir. On a vécu ici. Quelques ruines d'une civilisation ancienne
subsistent. Mais surtout, le climat aride, torride, ce soleil qui vous tabasse tel le marteau sur une enclume, témoigne de puissants dérèglements dont l'homme semble être la cause. Le sol
est rose. Un jardinier berserk s'est acharné à le retourner. Il a tracé des chemins de cailloux, tatouant la terre de petits cœurs blancs en un maillage cartographique.
Dans les poches creusées, le miracle de la vie s'est accroché. Une multitude de souris grouillent, traversant des chemins en se tenant par la queue, au milieu du foisonnement des lianes vertes
couvertes de fleurs translucides.
Un texte écrit par Sabine, à l'occasion de l'atelier Lieux imaginaires
(Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
Promenade du dimanche
La laisse de ma chienne est autour de mon cou, épaisse, solide, c’est presque une longe de cheval. Mon amie florentine me l’a donnée à Noël dernier car elle trouvait la mienne trop fragile. Elle
passe son temps à me materner cette Italienne, en vieille baronne solitaire en manque d’enfant.
La laisse, je ne la mets jamais à ma chienne lors de notre promenade solitaire dans les champs. C’est notre moment de liberté à toutes les deux. Moi je suis dans mes pensées, elle dans l’instant,
celui de la quête avide des odeurs qui nous entourent. Je me dis qu’elle a sûrement plein d’informations comme ça, qu’elle « consulte ses email ».
Aujourd'hui nous ne sommes pas seules. Nous avons retrouvé des amis : elle, son copain Mack, golden retriever de trois ans, tout blanc, comme ma Mila qui est un berger suisse, moi ses
maîtres, Steph et Jo, un couple de voisins, mais surtout de bons amis avec qui je partage de plus en plus de balades et de soirées.
Il fait sombre, le ciel est passé du gris clair à l’anthracite en une heure, et Jo m’a annoncé que sa maladie revient. Nous marchons sur le chemin rendu boueux par la pluie de la nuit dernière,
nous goûtons aux noix géantes du seul arbre rescapé au milieu des champs cultivés. Ces noix sont amères et sans saveur, elles ne tiennent pas la promesse de leur aspect généreux et doré.
Et Jo pensait être guéri, que ces mois de souffrance étaient derrière lui.
En promenade, nos chiens passent leur temps à jouer à qui dominera l’autre. Avec flairer partout, c’est leur occupation favorite. Leurs aboiements accompagnent nos bavardages. Ils passent à toute
allure dans les flaques d’eau et courent entre nos jambes. On est sur le qui-vive pour ne pas être renversés par surprise. Et on se déconcentre, les sujets graves passent au second plan quand on
est interrompu par ces boules d’énergie qui sentent le chien mouillé. On s’arrête, on ôte sans y penser ces piquants qui s’accrochent aux poils de nos compagnons. Leur fourrure est douce et
apaisante. Mila me lèche la main, je la sens heureuse. Steph s’occupe de Mack, lui aussi plein de ces boules collantes. Derrière nous, le tracteur retourne la terre, indifférent.
Jo s’approche des chevaux parqués dans les grands prés de l’autre côté du chemin. Il leur tend la main, essaie de les caresser. Je vais les saluer à mon tour, nez contre nez, on se respire
mutuellement, longuement. Ça marche à tous les coups : les chevaux rassurés se laissent approcher. Jo est ravi, il plaisante sur la sensibilité des animaux, de son chien qui passe son temps
à le lécher quand il est malade. Il me dit : « C’est un signe, cette semaine il a recommencé ! »
Je le sens calme, un peu mélancolique. On est là, tous les trois, respirant les chevaux, fourrant nos mains dans l’épaisseur des poils blancs de nos chiens, et c’est comme si rien de grave ne
pouvait arriver, sous ce noyer en cette fin d’été.
Un texte écrit par Fabienne, à l'occasion de l'atelier L'écorce du quotidien
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)
A ma fenêtre
Il est 7 heures du matin. Juste réveillée, j’entrouvre le vieux volet de bois tout rugueux et grinçant, je reçois une bouffée de fraicheur sur le visage, je suis surprise, il faisait si chaud
hier. La pluie a déposé quelques gouttes d’eau rondes et claires sur l’appui en pierre dorée. La pierre est froide quand je pose mon bras pour ouvrir grand la fenêtre. Je parcours alors le grand
pré couleur de paille, le ciel bas et gris se pose sur le petit bois qui ferme l’horizon. Une odeur d’herbe mouillée, et de bois décomposé monte jusqu’à moi, ou plutôt de champignon. Seul le
bruit léger des branches qui s’égouttent vient troubler le silence ambiant. Doucement les minuscules feuilles d’acacia jaunies virevoltent. Je sors lentement de mes songes, je m’étire et me
laisse respirer cette atmosphère liquide et douce et je la sens pénétrer dans mes narines puis rouler dans la gorge et remplir mes poumons, je bois l’air et le savoure avec un plaisir que je
souhaiterais durer. Tout mon corps s’ouvre à la fraicheur de ce matin d’été finissant. 2 chevaux pénètrent dans le carré de la fenêtre, leur allure élégante et feutrée anime un moment cet
espace hors du temps. Je les suis dans leur traversée, puis ils quittent la scène.
Je reste comme aimantée à la fenêtre, pourtant peu à peu les détails se floutent, je regarde sans regarder, la fatigue d’une mauvaise nuit vient se poser sur mes paupières, brouillent mes yeux.
Alors quittant les sensations je me laisse emporter par mes pensées, elles arrivent en cavalcade, me rappellent les nuits agitées dans cette chambre, la reproduction du même scénario à chaque
visite, le malaise que j’éprouve dans cette maison éternellement humide, je me sens engluée dans le reproche, le remords, je sens ma respiration s’accélérer, mon cœur battre la chamade, j’ai
froid, je me recroqueville et tire une couverture pour m’emmitoufler.
Un texte écrit par Sophie, à l'occasion de l'atelier L'écorce du quotidien
(Atelier d'écriture régulier à Villeurbanne)
Le stade de Gerland
Voici 2 textes, nés à partir du même lieu, "Le stade de Gerland", tiré au sort dans le cadre de l'atelier Lieux communs, et avec la contrainte d'intégrer des mots donnés par les autres participants lors de la proposition d'écriture. Le tirage des mots va amener chaque participant dans des directions très différentes.
1
Sylvie était persuadée qu’aller au stade de Gerland allait être ennuyeux. Elle aurait préféré assister à la masterclass de son écrivain favori qui avait lieu à Dunkerque. C’était vraiment du
délire d’avoir accepté cette invitation en sortant de ce bar italien pas vraiment fameux. Elle se mit à rêver de Gepetto, le guide de montagne, expert en luge. Un guide aussi beau qu’un lever de
soleil au Taj Mahal. Lui au moins était doux comme la neige, contrairement à cette armée de footballeurs ressemblant à des poules. Alors qu’elle entendait les “EH OH” répétitifs des supporters,
elle se dit qu’elle aurait dû l’embrasser. Il était si beau habillé de sa salopette couleur lavande. Elle avait été épatée par sa connaissance des edelweiss et surtout des algues japonaises… et
puis contrairement à Juninho, il n’était pas fragile et ne pleurait pas à chaque gamelle reçue sur cette tapisserie verte.
Elle voulait rentrer maintenant afin de finir de paginer son essai sur les lucioles qui vivent en milieu aride.
Un texte écrit par Maxime (Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
2
J'étais souvent allée à Paris voir mon amie Vanessa, elle m'avait fait découvrir un Paris méconnu et parfois insolite car elle ne supportait ni le bruit, ni la foule aussi nous visitions des petites impasses fleuries, des voies vertes, des parcs. Je ne souviens avoir visité une petite réplique de la cathédrale Sainte Sophie d'Istanbul dans je ne sais plus quel quartier.Elle était actrice dans un petit théâtre « L'arche de Noé » et enchaînait représentations où elle était seule en scène à jouer des sketchs à mourir de rire et où elle terminait à moitié nue. Elle avait fait des études d'économie et je me demandais toujours par quel hasard et quel cheminement personnel, elle avait pu se retrouver sur des planches. Elle pouvait réciter du Racine ou utiliser une langue bien peu châtiée et avait tant d'énergie que je la questionnais pour connaître le nom de son produit de dopage. Elle me répondait toujours en riant : « L'amour ! ». N'avait-elle jamais un moment de cafard ?
Un soir de novembre, j'étais plongée dans le dernier roman de Mauvignier quand la petite sonnerie du téléphone m'annonça un SMS. J'hésitai à sortir du récit mais la curiosité fut la plus
forte.
« Et si j'arrivais samedi pour trois jours ?Tu me feras visiter Lyon ? Bises. Vanessa. ».
C'était une excellente idée. Je n'avais rien de prévu pour le week-end. J'étais ravie de passer du temps avec elle et de lui faire visiter ma ville même si ma vraie ville de cœur c'était Vienne
où je l'emmènerai un jour, promis ! Et puis je ne connaissais pas très bien Lyon, ce serait l'occasion de faire des découvertes moi aussi.
Elle descendit du TGV dans un grand manteau de drap bleu à épaulettes telle une star. Quand j'étais adolescente j'avais eu un manteau semblable, c'était alors la mode, sans doute était-elle
revenue et mon amie était, comme toujours, à l'avant-garde. Bien sûr, nous visitâmes le Vieux-Lyon, ses traboules, ses cours intérieures, ses gargouilles. Nous longeâmes la Saône pour aller
jusqu'à l'île Barbe où nous fîmes une pause pour boire une tasse de thé et déguster une tarte aux pralines. Je redécouvris avec elle le Parc de la Tête d'Or dont j'avais oublié le charme. J'étais
ravie de partager ses moments avec Vanessa, je me sentais calme et sereine. C'était agréable de faire la guide touristique quand elle me dit :
« Je voudrais aller voir le stade de Gerland.
- Pas de problème, lui répondis-je en riant, persuadée qu'elle plaisantait.
- C'est un lieu important, me dit-elle, il y a eu tellement d'événements dans ce stade mythique.
- Quels événements ? Juste des matchs de foot ! »
Pour moi, le foot c'était synonyme de malversations, de matchs truqués, de supporters ivres. Je ne voyais pas l'intérêt d'aller contempler une pelouse entretenue à grand frais.
« Mon père habitait à Lyon quand il était jeune, il était un espoir dans son club, l'Olympique Lyonnais. Il m'a souvent raconté leurs entraînements exténuants, leurs larmes quand leur équipe
perdait et leur joie quand ils étaient vainqueurs.Et il m'a souvent décrit le stade de Gerland !
- Euh ! Bon, si tu y tiens tant ! Mais vraiment à Lyon, il y a encore mille choses merveilleuses à voir.... Me faire aller là-bas, c'est un peu rude !
- Arrête ! Tu vas voir, on va en faire un moment sympa, c'est pas un pèlerinage !
Ben justement à propos de pèlerinage ! On n'est pas encore monté à Fourvière ! …... Bon d'accord pour Gerland mais on y va à vélo. Un peu de sport, ça te fera du bien ! » dis-je en essayant
d'avoir une lueur taquine dans l'oeil.
C'est ainsi que le lendemain matin, nous nous retrouvâmes derrière les grilles du stade tels des singes, au milieu de plusieurs ados dont le blouson arborait le nom et le numéro d'une équipe,
venus voir s'entraîner leur idole dont nous ne connaissions même pas le nom.
- « Je suis émue de voir ce stade. Je repars cet après-midi mais promis, la prochaine fois, nous irons à Fourvière. ».
Elle se mit à rire, et son rire était tellement communicatif qu'un moment après nous étions pliées en deux, sans pouvoir nous arrêter, les ados atour de nous se demandant bien comment deux femmes
plus très jeunes pouvaient trouver si drôle l'entraînement de footballeurs dans le petit matin.
Un texte écrit par Dominique (Atelier d'écriture régulier à Lyon - PLVPB)
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